Une superbe page consacrée à ce bout d'histoire passée que je me permets de copier et coller ici pour en avoir une trace: https://forgottencircuits.pagesperso-orange.fr/FC_rouen_histoire.htm
ROUEN-LES-ESSARTS: un toboggan dans la forêt
Rouen-les-Essarts occupe une place de choix dans le panthéon des circuits automobiles. Pourtant, à y regarder de plus près, la légende ne tient qu'à une portion de 1,5 km sur les 6,5 du tracé « classique »: une épingle et 3 virages, pris à fond. Comment, on peut écrire une légende sur 3 courbes rapides? C'est que justement, réussir à laisser le pied à la planche sur le toboggan normand était réservé à une élite ultra-sélective: de Fangio en glisse des 4 roues sur sa Maserati 250 (sublime photo de Edward Eves) au plus anonyme pilote de la Coupe R5 dont l'auto gigotait dans tous les sens, à la limite absolu de l'adhérence et de la sortie de route, tous en ont gardé un souvenir terrifiant mais indélébile et …hautement addictif.
L'aura de la descente vers le Nouveau Monde est telle que 95% des documents d'époque lui sont consacrés, au détriment complet des 3 autres quarts du tracé: trouver une photo du virage du Grésil relève de la plus totale gageure. Et pourtant, cette fameuse descente n'existait pas, 2 ans avant le premier Grand Prix...
OPPORTUNITÉS ROUTIÈRES POUR UNE LÉGENDE
Hormis les (anciens) spectateurs arrivant par le train, Orival ne dira assurément rien aux amateurs de sport automobile... Et pourtant, le tracé du premier circuit se trouve intégralement sur le territoire de cette petite commune. Il aurait pu prendre son nom, mais on lui a préféré celui du hameau le plus proche de la ligne de départ et dépendant de la commune de Grand-Couronne: les Essarts.
Faisons un gros retour en arrière: Orival est un petit village blotti dans un méandre de la Seine, sous d'imposantes falaises de craie et sur l'ancienne voie romaine de Rouen à Elbeuf. Le site est stratégique, il vit la construction d'une forteresse et fut fréquenté par Richard Coeur-de-Lion et Jean-Sans-Terre. Plus près de nous, les nazis investirent les cavernes naturelles des falaises pour y stocker toutes sortes de matériel et projetèrent même d’y implanter des V1. La proximité immédiate d'un pont de chemin-de fer acheva d'en faire un site d’importance pour les Alliés et le village se releva détruit à 80% en 1945.
Parallèlement à la reconstruction de l'habitat, il fallait aussi moderniser le réseau routier. La liaison Rouen-Elbeuf s'effectuait alors par une ancienne Route Royale, passant par Grand-Couronne, escaladant le coteau, traversant la Forêt de la Londe sur le plateau et redescendant vers la Seine par Orival, référencée CD 132. Sur cette carte d'Etat-Major de 1866, on distingue déjà les grandes lignes des voies qui constitueront le premier circuit, près d‘un siècle plus tard :
Note: les documents aériens suivants, à quelques exceptions près, ont tous été tournés à 90° vers la droite afin d'en faciliter la présentation.
En 1933, est créée la Route Nationale 840, reliant Rouen à Verneuil-sur-Avre par Elbeuf, qui escalade les pentes douces de la Forêt de la Rouvray pour arriver au Grand Essart et redescend à Orival dans un vallon à l’Est de la Route Royale par une petite voie sinueuse. Mais ces deux routes au milieu du XXe siècle sont trop peu pratiques pour être adaptées à un trafic poids-lourds moderne. Un tracé beaucoup plus roulant est alors mis en chantier dans ce vallon. Ainsi, c'est une magnifique route aux larges courbes, véritable boulevard à camions, qui vit le jour en 1947, dont on voit ici le chantier le 17 Juin de cette même année :
Le carrefour d'avec le CD 132 qui se situait au pied de la première maison fut remonté vers le Nord et aménagé de manière très moderne. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’épingle du Nouveau-Monde ne fut pas créée avec le circuit :
De son côté, l'Automobile-Club Normand vit le jour en 1923. Parmi ses membres fondateurs, Jean Savale qui en prit la présidence en 1948. Et en Septembre 1949, le grand projet du nouveau Président – la création d'un circuit de vitesse – est adopté dans l'enthousiasme général. Sans les travaux de la nouvelle route, le site n'aurait certainement pas retenu l'attention des organisateurs. Seulement voilà: ces grandes courbes modernes, ce carrefour parfaitement aménagé, cette remontée raisonnablement sinueuse constituent déjà deux sélectifs côtés d’un potentiel triangle, figure qui définitivement semblât être pendant des décennies la seule à inspirer les organisateurs français.
Ne reste plus qu'à en raccorder les 2 sommets. La forêt de la Londe, comme beaucoup de forêts domaniales, est quadrillée par de rectilignes chemins. Parmi ceux-ci, le chemin de l'Etoile va constituer le dernier côté du triangle. Sa rectitude permettra d'atteindre d'importantes vitesses de pointe. Mais simplement macadamisé, il doit être aménagé: il faut d'abord combler une petite dépression pour que son horizontalité soit parfaite. Opportunément, Roland Prodhomme, membre de l'ACN, est aussi directeur d'une agence de travaux public qui dispose d'une carrière à proximité. C'est sous ses ordres que le remblaiement est effectué. Le revêtement, d’une largeur de 7 mètres, est constitué de dalles de béton coulées sur place.
Au fait, avez-vous remarqué la grande zébrure verticale de forêt déboisée, à droite de l’image ? Il s’agit des travaux préliminaires à la déviation de la RN 138. En 1950, le pont au dessus du CD 132 est même déjà en construction :
Mais n’anticipons pas… Le 11-05-1950, à 80 jours des premières courses, où en sont les travaux ? La coulée de béton vient de débuter. On distingue à gauche le carrefour de l’Etoile fermé par des barrières, et à droite le front de coulée et la dernière dalle encore fraîche :
La ligne de départ est encore vierge de toute installation, mais d’importants travaux d’élargissement et d’aplanissement des bas-côtés sont en cours dans toute la descente :
Les tribunes, stands de ravitaillement et tour de chronométrage seront établis en charpente métallique démontable. Sur les 3 virages les plus serrés (Nouveau Monde, Beauval, Paradis) est peint dans l’axe un original flêchage blanc.